Directeur Général, Grand Paris Aménagement
Grand Paris Aménagement est un opérateur singulier en Île-de-France.
Quels sont vos différents métiers?
Thierry Lajoie : Première singularité : nous déployons trois métiers, dont chacun sert l’autre. L’ingénierie foncière – nous exploitons et commercialisons près de 5 000 hectares en Île-de-France, et préparons la mise en état juridique et technique d’emprises utiles à de grands projets, comme le Campus Condorcet ou le futur hôpital Nord à Saint-Ouen. L’habitat, en opérant des programmes de rénovation urbaine parmi les plus difficiles d’Ile-de-France et, auprès de l’EPFIF, la requalification de copropriétés dégradées par exemple à Clichy-sous-Bois Enfin, l’aménagement urbain, en développant des opérations de toutes natures et de toutes tailles, contribuant à fabriquer un Grand Paris multipolaire et multifonctionnel.
Nous intervenons de plus en plus dans des partenariats renforcés avec les collectivités, jusqu’à constituer des sociétés de projet communes[…].
Deuxième singularité : la variété de nos coopérations avec les collectivités territoriales pour réaliser nos opérations d’aménagement urbain. Nous intervenons en concession des collectivités, au terme de procédures de mise en concurrence, comme une sorte de SEM d’Etat – les deux tiers de notre activité sont réalisés ainsi. Mais nous intervenons aussi à notre initiative, au nom de l’État, avec l’accord des collectivités. Et nous intervenons de plus en plus dans des partenariats renforcés avec les collectivités, jusqu’à constituer des sociétés de projet communes, « public-public » comme la SPLA-IN créée avec l’agglomération Grand Paris Sud Seine Essonne Sénart ou « public-privé » comme le projet de SEMAOP que nous préparons avec la ville d’Aulnay-sous-Bois. Ces différentes façons de faire nous donnent de la souplesse pour être au plus près des attentes des collectivités publiques qui nous font confiance.
Troisième singularité : la stratégie de l’État via le regroupement entre l’ex-AFTRP et les établissements publics d’aménagement Plaine de France et Orly Rungis Seine Amont, ces nouveaux modes partenariaux avec les collectivités, notre propre croissance avec une centaine d’opérations d’aménagement actives ou en développement en Île-de-France, font de Grand Paris Aménagement un opérateur robuste, premier aménageur d’Île-de-France, géré en entreprise publique performante avec une gouvernance partagée. En 2017, notre chiffre d’affaire a franchi 140 M€ pour un résultat net positif de 8 M€ et un résultat d’exploitation de 12 M€, nos opérations ont généré 6 500 logements et produit 129 ha d’activités économique, notre portefeuille a atteint 2,1 milliards d’euros (3 milliards avec la SPLA-IN et l’EPA ORSA). La performance entrepreneuriale au service de l’intérêt général, c’est le modèle que nous défendons.
Pour faire ce Grand Paris polycentrique, comment permettre aux porteurs de projets d’agir mieux et plus vite ?
T.L. : En étant plus souple et plus agile, donc plus coopératif. Les forces des uns doivent se conjuguer aux autres et pas uniquement se superposer. On ne peut plus faire comme il y a vingt ou trente ans. Il nous faut passer d’un urbanisme de procédure où chaque acteur de la fabrication de la ville travaille de son côté et à son heure, à un urbanisme négocié, de projet, où tous les acteurs travaillent ensemble et en même temps. Il faut passer d’un mode de travail vertical à une méthode plus horizontale. Bref il faut passer du silo au cloud. Cela vaut pour l’Etat, pour les collectivités et pour les différents acteurs économiques. Les meilleurs projets urbains sont les projets communs.
Ces modes coopératifs, qui doivent inclure les habitants, ont de l’avenir parce qu’ils unissent les acteurs en amont des projets, dans l’action et dans les résultats attendus. Quand on partage les objectifs, les conditions, les risques et les opportunités des projets, ceux-ci gagnent en pertinence et en efficacité. L’avant projet de loi ELAN présenté par le Gouvernement va plus loin, par exemple en imaginant les projets partenariaux d’aménagement qui uniront les collectivités et l’État autour de grandes opérations d’urbanisme. Permettre une logique partenariale plutôt que procédurale et passer d’une logique de moyens à une culture du résultat me semble être une bonne équation pour faire la ville de demain.
D’autant que les besoins liés à la vie urbaine évoluent aussi. Comment cela interroge le métier d’aménageur ?
T.L. : Vivre en ville c’est habiter, travailler, se déplacer, respirer, consommer, se cultiver, partager, se promener, se divertir… La matière première de l’aménageur, ce sont ces fonctions urbaines, davantage que les fonciers, les plans et les bâtiments. Or les usages évoluent vite, en particulier sous la pression de la transition écologique et numérique des territoires. Il y a 10 ans, le smartphone n’existait pas, et l’on parle déjà de véhicule autonome et de route connectée… Et puis, la valeur elle-même réside de plus en plus dans l’usage d’un bien, d’un bâti, et de moins en moins dans le bien, dans le bâti lui-même. Tout bouge vite, dans le modèle économique immatériel, dans la société comme dans la fabrication et l’utilisation de la ville.
Vivre en ville c’est habiter, travailler, se déplacer, respirer, consommer, se cultiver, partager, se promener, se divertir …
Du coup, l’aménageur, qui conçoit et fabrique la ville sur un temps long, ignore lorsqu’il commence un projet urbain les technologies et les usages qui seront à l’œuvre au moment où il le terminera. L’enjeu du temps prend le pas sur celui de l’espace ! Cela invite à une révolution de la ville, celle de l’évolutivité, l’adaptabilité, la réversibilité, la mutabilité… Cela conduit à une invention plus participative de la cité, où les habitants définissent des demandes plus qu’ils ne subissent une offre. Et cela impose à l’aménageur davantage d’humilité.
Il faut donc de l’innovation, de l’imagination. Quand notre partenaire belge Bopro Sustainable Investments développe un démonstrateur d’économie circulaire, le projet Triango sur Gonesse, il est dans la logique d’une offre tertiaire réversible, adaptable à un véritable parcours résidentiel pour l’implantation des entreprises. Aux Ardoines, la mixité des fonctions économiques et logistiques sur un même bâtiment développée par l’EPA ORSA avec un autre de nos partenaires, Sogaris, répond à la nécessaire mutabilité. Au Fort d’Aubervilliers, les démarches d’urbanisme transitoires sont déjà très ancrées dans le quartier. Au parc de Maison Blanche à Neuilly-sur-Marne, nous déployons une offre de services à la personne à l’échelle d’un quartier entier. Et nous expérimentons, à travers un appel à projets avec le ministère de la Cohésion des territoires et les établissements publics d’aménagement Euratlantique et Euroméditerranée, le « permis d’innover ». En somme, à Grand Paris Aménagement, nous pensons que la ville de demain ne se fabrique déjà plus comme celle d’aujourd’hui.