Thierry Paquot, philosophe de l’urbain et auteur de La Ville récréative – Enfants joueurs et écoles buissonnières (InFolio), décrit une ville « aseptisée » qui a oublié les plus jeunes au profit du « tout automobile » et de la gentrification. Il plaide pour un urbanisme radical, récréatif, « poétique et ludique », qui ferait la part belle aux arbres et aux espaces verts, aux rivières et aux bassins d’eau, aux territoires que ces « chercheurs d’hors » pourraient « explorer et apprivoiser par le jeu ».
De Gavroche aux garnements de Doisneau, des Poulbot au Doinel des Quatre Cents coups, les rues de Paris ont longtemps été le territoire des plus jeunes. Qu’est-ce qui a changé ?
THIERRY PAQUOT : Les enfants de Robert Doisneau appartiennent à une époque révolue, quand la rue était leur terrain de jeu privilégié ; ils en ont aujourd’hui quasiment disparu. Pour des raisons sociologiques d’abord, les familles nombreuses des classes populaires ayant été chassées de Paris et des grandes villes par les prix galopants du mètre carré, par la spéculation immobilière, par la gentrification de la métropole. Mais ce n’est pas la seule raison, car j’observe la même absence d’enfants dans les lotissements pavillonnaires, les banlieues-dortoirs ou même les villages : ils ne bénéficient plus de territoire à eux du fait du « tout-automobile ». Comment voulez-vous jouer, principe défendu par la Déclaration universelle des Enfants de 1959, quand l’exiguïté des trottoirs l’interdit ? Quand jouer au foot ou à la marelle est trop dangereux à cause de la vitesse des voitures ? Pour des véhicules immobilisés 95 % du temps, les enfants ont été les grands oubliés de la fabrication de la ville productiviste. Ceci dit, il ne faut pas non plus idéaliser le passé : combien d’enfants vivaient à la rue autrefois, abandonnés à leur sort, tout comme dans de nombreuses mégapoles asiatiques, africaines ou américaines aujourd’hui ?
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